Elle a toujours eu peur d'oublier, Ava. Elle a toujours eu peur qu'un jour ou l'autre, les souvenirs s'échappent et laissent la place au bruit blanc des vieilles télévisions. Que les visages se déforment et que les voix se taisent.
Que les vagues finissent par submerger ses bronches à force de respirer trop fort et trop vite, de voir dans les yeux des inconnus un peu de lui et un peu trop d'elle. D'écraser le cœur avec cruauté si elle se permettait d'aimer trop intensément. ｡ﾟ☆

Ava, elle a toujours eu peur. D'un rien et d'un tout, du lâche et du courageux, de parler sans gêne et de se taire avec rage. Elle a bradé les étoffes du deuil pour l'hypocrisie d'agir comme si rien ne l'avait un jour affecté. Les larmes ont été avalées et les plaies agrafées au fil déjà rouillé.  
C'est avec aplomb et mépris qu'elle aborde les linéaments des enfants désinvoltes, qui ne semblent avoir rien vécu et qui ont tant à dire.
La peur d'avouer que c'est effrayant, de se lier et d'arborer les unions sublimes, d'en partager les arcanes. Non, Ava, elle préfère toiser les autres et s'enfermer dans la solitude perfide, l'ennui qui creuse la poitrine jusqu'à pouvoir y arracher les quelques bribes d'émois encore intenses. ｡ﾟ☆

Pourtant, dans l'innocence encore mignarde des enfants, Ava est toujours naïve, s'entiche des mains qui se tendent avec candeur et des yeux tendres qui effleurent la rondeur des joues et la droiture de ses épaules.
C'est avec la peur au ventre qu'elle noue ses phalanges autour des âmes volontaires, prêtes à se délester du fardeau d'avoir tant à affronter, des insécurités volontaires aux habitudes trop étouffantes.
Trop dans son monde, l'attention dans les livres à en perdre la raison, la notion du temps parfaite jusque l'heure où il faut se reposer et se réveiller. ｡ﾟ☆

Ava, elle n'a jamais été aussi céleste que les filles de son âge. Dénuée du maquillage pourpre sur les paupières, des rubans dorés dans la chevelure, ce sont les ecchymoses bleutées sur les cuisses et le grenat par dessus les lèvres, comme le sang arraché des gorges pâles qui décorent le visage laiteux. Pourtant, elle a essayé le crayon noir sous les yeux et le mascara sur les cils. Elle a essayé et ça n'a jamais réussi à briser les effigies affreuses dans sa tête, du fard encore intact lors de la tête entre les fragments verrés, des joues creusées comme des fins sourires taillées.
Alors entre deux souffles maladifs, grabataire et abattue, Ava enserre les palettes jamais ouvertes contre le poitrail, les ongles glissent sur l'emballage cristallin. Peureuse de voir les derniers filaments d'une histoire gribouillée à l'hémoglobine et aux hurlements, elle s'est délestée de l'effroi pour éviter les sursauts au fond du ventre. ｡ﾟ☆

C'est avec et sans qu'Ava traverse les couloirs de l'académie, monsieur Raisin qui gratte la chair sous le pull trop large, la jupe dégringolant des hanches, il ressent les émotions perfides de sa maîtresse et cherche à s'en débarrasser, quitte à faire du mal, quitte à ce que les rayures deviennent des souvenirs. Mais entre ces moments d'égarements et d'agonie, malgré l'irrépressible besoin de s'éloigner afin de respirer, Ava se rapproche et adore, enlace et se détache des défauts terribles.
Pour ne plus pleurer l'ennui, elle l'abhorre et s'attache, brièvement, même s'il ne s'agit que d'un bonjour silencieux, d'une conversation dans laquelle il faut se faire discrète, à laquelle il faut hurler et chanter. ｡ﾟ☆

Alors Ava, avec le panache des gamins encore fragiles et prêts à bondir, elle délaisse les jougs de son passé afin de s'accrocher à ce que l'avenir a à lui offrir. ｡ﾟ☆