(Naissance) Seconde engeance d’une lignée maudite, une aube teinte d’un macabre carmin illumine la naissance de cet enfant baptisé Noah. L’espoir fugace que ce nom apaisera les tourments de la famine, qui hante leur généalogie depuis des temps presque immémoriaux, scintille dans les iris des deux parents. Ainsi le désir ardent de dompter la bête s’inscrit dans sa naissance, comme si le destin, lui-même, le condamnait aux abîmes d’une lutte insensée. Car n’est-il finalement pas plus simple de se laisser porter par ses instincts les plus insensés ?

(Aube) Condamné à l’isolement dès qu’il put ouvrir les yeux sur les cieux infinis. A travers les murs de la cahutte familiale il perçoit, sans comprendre, les tourments qui agitent la communauté. La faim qui s'empare d’un congénère, l’affrontement aliéné entre deux frères ou un fils et son père qui éveille les plus abject instinct. Une malédiction qui se répète, sans jamais cesser, cette faim insatiable, le cannibalisme. Et depuis sa plus tendre enfance, les tristes récits de veuves endeuillées, de mères déchirées, narrant ces obscurs faits hantent nombre de ses nuits. Mais l’enfant ne comprenait pas, il ne pouvait comprendre. Car lui, il ne voyait que les murs de la maison familiale, puis lorsque le calme revint, juste les larmes et le carmin qui souille leurs visages et leurs habits. Jamais il ne voyait les monstres de leurs récits, seuls quelques rugissements parvenaient parfois jusqu’à ses tympans.

(Famine) Il venait de fêter ses dix ans quelques jours auparavant. Avant que la faim ne s'empare de lui, que son être tout entier ne hurle famine, encore et encore. Sans cesse. Une sensation nouvelle qui naissait en lui, un désir brûlant, pulsion macabre qui envahissait son être. Alors que sa chair se décomposa peu à peu, laissant apparaître de longues griffes à la place de ses doigts. Puis que instinctivement, celle-ci déchiquette lentement le reste de sa carne intacte, laissant paraître peu à peu une carcasse d’ébène couverte d’une épaisse fourrure aussi obscure qu’un infâme crâne de cerf remplace ses traits enfantin. La bête s’éveille, Wendigo, c’est le nom qu’il porte, qu’ils portent tous. Les rejetons macabre d’une antique lignée amérindienne, ceux qui ont violé l’interdit de la chair. Une folie qui continue à hanter sa descendance, bien des générations plus tard.

Noah n’est plus, seule la bête rugit au cœur de la nuit, démente et affamée. Les récits des anciens prennent enfin sens, mais il est trop tard pour lui. Le monstre vorace est incapable de se satisfaire de la chair animal qui lui est offerte et plonge un peu plus dans les abîmes de la démence, jusqu’à en déchiqueter la chair de son propre frère ainés, jusqu’à dévorer son congénère, son propre sang et son confident. Un éclat de lucidité s’éveille dans sa barbarie sans limite, la bête se tétanise au milieu de son repas avant de s'effondrer, de s’éteindre dans un râle qui déchirer le voile de la nuit pour laisser place à l’enfant, à peine âgé d’une décennie, seul face à son méfait. Un profond traumatisme s’instilla en lui. Il avait dévoré son propre frère.

(Crépuscule) De son crime naquit, bien des années plus tard, une volonté nouvelle. Après n’avoir eu de cesse de maudire sa propre naissance, de craindre la bête en lui, incapable d’affronter le monde et tout aussi incapable de s’accorder le pardon, alors que des récits comme le sien hantaient leur lignage depuis de nombreuses générations. Il finit par se forger sa propre carapace, par se voiler la face, préférant fuir ces ténèbres qu’il avait toujours connu, pour devenir un astre aussi étincelant que le soleil. Qu’importe qu’il soit entre zénith et crépuscule, n’importe où tant que ce n’était pas au cœur de la nuit. Avec le temps, il commença à craindre l’obscurité autant que la monstre qu’il était devenu.

(Factice) Parfaitement ancré dans son rôle d’astre solaire, le mensonge lui colle à la peau tandis que pour sa seconde année il franchit les portes de l’académie Colombe. Une énigmatique opportunité qui lui a été offerte par la directrice, un accord mystérieux entre ses parents et cette femme lui a ouvert la porte vers ce lieu, bien lointain à sa terre natale. Porteur d’un terrible secret, il ne peut totalement nier l’angoisse qui le saisit à la gorge jour après jour, ni les ténèbres qui le guette à chaque instant en ces lieux. Pourtant il demeure imperturbable, dans sa mise en scène parfaite, habile comédien d’une farce abjecte, le jeune homme fuyant sans cesse cette vérité qui s’accroche à ses entrailles. Jusqu’à s’effondrer, face à un avenir insaisissable.